Je venais de passer la soirée avec Benjamin, mon meilleur confident dans cette petite ville un peu paumée. En général, je sortais de ces visites apaisée et de bonne humeur, car il fallait avouer que j'adorais passer du temps avec lui. Ce soir là, pourtant, quelque chose me dérangeait... Enfin, rectification : quelqu'un. Que je ne connaissais absolument pas, d'ailleurs, mais entendre son nom m'avait largement suffit. Jaelyn. Joli nom, en soi, mais ce n'était pas ce qui me gênait le plus... Ce qui m'avait frappé, c'était surtout la façon dont Benjamin l'avait prononcé. Un ton qui m'avait intriguée. Mon petit Benjy s'intéresserait-il à cette fille ? Humaine, qui plus est. Je n'avais rien contre les humains (du moins, jusqu'à ce qu'ils tentent de m'empaler sur un pieu de bois, ce qui n'est jamais très apprécié, généralement) mais celle-ci pouvait très bien être une garce qui ne faisait que se servir de lui, ou encore quelqu'un qui cherchait à la tuer à la première occasion.

J'avais peut être tendance à être un tantinet trop protectrice avec ceux à qui je tenais... Mais on ne se refait pas ! Et j'avais la ferme intention de voir à quoi ressemblait cette Jea. Elle avait le mérite de piquer ma curiosité, on pouvait le dire. Comment avait-elle réussi à s'approcher ainsi de Benjamin ? Qui était-elle vraiment ? Je n'espérais qu'une chose, qu'il ne soit pas tombé sur une louve. Vu le talent qu'il avait à se fourrer dans des situations impossibles, ça ne m'aurait étonné qu'à moitié... Mais pour l'heure, la question était surtout de savoir où la trouver. Je n'avais aucune idée de où elle habitait, et aller la voir en plein milieu de la nuit était un peu... excessif. Même pour un vampire.

En désespoir de cause, je décidai d'aller traîner un peu devant le Grill. Enormément de jeunes y allaient... Pourquoi pas elle ? Et de toute façon, j'allais bientôt avoir besoin de me nourrir, et le Grill était l'endroit idéal. Il me suffisait d'approcher un groupe de shootés, de faire du charme à l'un d'eux quand j'étais trop fatiguée pour pratiquer la suggestion, l'amener dans un lieu tranquille (lieux qui s'avéraient parfois un peu glauques : cimetières, églises, forêts sombres... Et on se demande d'où vient la réputation des vampires !) et le tour était joué. Leur sang était souvent assez âcre, à cause de l'alcool ou de la drogue. C'était regrettable pour les membres de notre espèce... Il était de plus en plus dur de trouver des proies saines dont on ne remarque pas la disparition. Les drogués étaient souvent des fugueurs ou des jeunes qu'on avait pris l'habitude de ne plus voir pendant un certain temps. Un gâchi, certes, mais un gâchi qui nous était profitable quand on voulait rester discret... Et dans cette ville de dingue, ça valait mieux, à mon avis.

Je tournai au coin de la rue et débouchai sur le Mystic Grill. Les trottoirs étaient éclairés par les lumières du bar et de nombreux jeunes s'y trouvaient, assis sur des bancs ou adossés aux murs, tous en bande. Je les parcourais du regard, essayant de déterminer quel groupe serait le plus adapté, lorsque je remarquai une jeune femme brune d'environ mon âge qui s'éloignait un peu. Une armoire à glace l'interpella d'une voix grave et sonore quand elle passa devant lui :

- Eh Jea ! Tu restes pas avec nous un moment ?

La fille ne releva même pas la tête quand il partit d'un rire gras avec ses accolytes. Jea. Le nom avait fait tilt dans ma tête. Qui parle de hasard ? Je pressai le pas et croisai à mon tour le jeune homme, non-sans lui lancer un regard réfrigérant en réponse à ses : "Et toi, chérie, tu veux te joindre à nous ?". Je rattrapai la jeune femme et posai une main sur son épaule.

- Excuse-moi... Tu es Jealyn ?

Si ce n'est pas elle, j'en fais mon dîner, décidai-je. A l'inverse des autres, je ne sentais pas cette odeur moite et âcre dénotant un abus d'alcool. Donc, une proie à ne pas négliger... Et si elle était effectivement celle que je cherchais, elle n'en était que plus intéressante.

Je détaillais la jeunne femme d'un oeil critique. Elancée, fine, avec une silhouette bien dessinée, elle avait des cheveux brun foncé soyeux à souhait et des yeux d'un bleu limpide. Après un examen plus pousssé, je m'avouai vaincue. Inutile de lui chercher des défauts physiques qu'elle n'avait pas. Mais cela ne signifait rien, bien sûr ; elle pouvait être indéniablement belle et être une véritable garce par derrière... A première vue, je ne pouvais conclure qu'une seule chose : que si c'était bien celle que je recherchais, le petit Benjy avait du goût en matière de femme. Je fis la moue. J'aurais presque préféré qu'elle soit laide, cela m'aurait simplifié la tâche... Je remarquai cependant qu'elle n'avait rien d'une bimbo futile et sans cervelle. Elle avait l'air rapide, avec la promptitude à réagir qui caractérise un entraînement strict et régulier, voire quotidien. Bon sang, Benjamin ne s'était tout de même pas entiché d'une chasseuse... Quoique ça lui aurait bien ressemblé.

La présumée Jealyn me rendit mon sourire, mais je notai une lueur méfiante dans son regard clair. Elle me renvoya habilement ma question, le plus innocemment du monde. Une chasseuse intelligente du moins. Mais ce n'était peut être pas à mon avantage. Au moins, elle ne paraissait pas me connaître. Personnellement, je me rappelais l'avoir déjà apperçue en ville, accompagnée d'une petite brunette au regard doux légèrement plus jeune qui devait être sa soeur, vu la ressemblance. Etonnamment, cette idée m'enleva une partie de la suspiscon que je ressentais envers elle. Elle aussi devait se sentir responsable de sa petite soeur, vu l'aura de détermination farouche qui émanait d'elle, et elle devait également chercher à la protéger de tout et n'importe quoi, comme je l'aurais fait pour Bella... Je lui répondis sur le même ton, avec un sourire plus sincère qu'auparavant aux lèvres :

- Eh bien, disons - hypotétiquement parlant, bien sûr - qu'une personne ait entendu parler de toi par l'intérmédiaire d'un de vos amis communs, et se serait mis en tête de venir te rencontrer... Pour voir à quoi tu ressemblais...

J'observai un changement dans sa posture. Elle s'était raidie, un peu sur la défensive devant mes sous entendu menaçants, mais semblait intriguée. J'étais à présent presque certaine qu'il s'agissait de Jealyn, surtout au vu de sa réponse, mais comment m'en assurer ? Je jetai un regard et arrière et vis le colosse de tout à l'heure en train de nous reluquer, tandis que le reste de sa bande s'appliquait à faire semblant de ne pas écouter. Les hommes auraient-ils toujours cette lacune concernant la subtilité et la discrétion ? Je poussai un soupir agacé, et me retournai vers la jeune femme.

- Tu serais d'accord pour qu'on aille en parler dans un endroit un peu plus... privé ? Oh, et si tu veux savoir, je m'appelle Kayla.

Le fait de savoir mon nom la mettrait peut être un peu plus en confiance, bien qu'il puisse parfaitement s'agir d'un faux. Je poussai la porte du Grill, et l'invitai à entrer d'un geste. Lorsqu'elle passa devant moi, je lui glissai :

- Si tu as rencontré un mec récemment - et je suis presque certaine que c'est le cas... Un gars un peu bizarre, c'est vrai, mais du genre grand brun séduisant et bien bâti, tu vois ? Eh bien, j''aimerais juste savoir son nom. Si tu n'en a pas trop d'en ton répértoire bien sûr... Ce que je pourrai comprendre.

Je lui adressai une mimique complice, qui n'était feinte qu'à moitié. Franchement, je ne voyais pas quel mal il y avait à s'amuser un peu. Et vu son physique, Jea ne devait pas s'en priver... Si ce n'était pas le cas, alors je ne savais pas comment elle réussissait à tenir, honnêtement. Il n'y avait pas plus amusant que de jouer avec les hommes, selon moi. Elle me dévisagea en retour, l'air authentiquement surpris. Elle ne savait donc pas ce dont je parlait ?
*Ben-ja-min* l'aidai-je mentalement. * Trois syllabes, ce n'est pas compliqué ! Allez, dis le...* Indifférente à mes encouragements télépathiques, elle prit un air suspiscieux. Je crus pourtant appercevoir un éclair de compréhension dans ses yeux. Mais peut être avais-je rêvé, car elle se contenta de s'asseoir à une table légèrement dans l'ombre, et de croiser les bras en haussant un sourcil interrogateur. Si je fus déçue par son manque de coopération, je n'en laissai rien paraître et je la rejoignis, espérant qu'elle avait l'intention de m'adresser au moins la parole...

Spoiler:

Jaelyn & Kayla ♥



Alors que Jaelyn me fixait, elle parut soudain avoir un choc, écarquillant les yeux comme si elle me voyait vraiment pour la première fois. La révélation, enfin ? Mais je ne vis aucune curiosité dans son regard. Elle semblait moitié mal-à-l'aise, moitié résignée, avec une note amère. Je me sentis à mon tour vaguement gênée, sans comprendre la source de son soudain changement d'humeur. Me trouvait-elle trop indiscrète ? Me prenait-elle pour une folle ? Ou alors - j'eus une sueur froide - avait-elle deviné ce que j'étais ? Il ne manquerait plus que ça... Mais je fus vite rassurée. Son mécontentement était apparemment dirigé vers une autre personne. Pourtant, lorsqu'elle pris la parole, sur la défensive, le sens de ses propos m'échappa complétement :

- Écoute si j'avais su, j'lui aurais pas parlé...

Je la dévisageait en fronçant les sourcils. Mais qu'est ce qu'elle racontait ? Si elle avait su quoi ? Elle n'avait quand même pas conscience que j'étais la confidente de Benjamin, que je le connaissais mieux que personne et que j'avais mis un point d'honneur à le protéger, même de ses propres erreurs... Oh, dit comme cela, j'avais vraiment l'air d'une mère poule trop protectrice. Il aurait réellement fallu que j'envisage une thérapie, un de ces jours.

Pendant que je ruminai ces vagues projets concernant mon profil psychologique, Jaelyn s'était levée avec un sourire crispé. On avait l'impression qu'elle venait d'avaler quelque chose de particulièrement acide. Je ne comprenais toujours pas les raisons de ce revirement, elle qui une minute auparavant arborait encore une mine indifférente et lisse.

- J'avais aucune idée qu'il avait une copine. Passe mes salutations à Benjamin et si tu veux ajouter une bonne claque, te gène pas.

Je me contentai de la regarder, sans réagir, le temps que ses deux petites phrases trouvent leur chemin dans mon esprit et que les rouages se remettent en marche. Alors que je venais de saisir ce brusque saut d'humeur de la part de mon interlocutrice, celle-ci s'était déjà dirigée vers la porte après un dernier regard bref dans ma direction. Je clignai des yeux, incrédule. Tout cela était d'un ridicule qui frisait l'irréel. Rien ne se passait comme je l'avais prévu... Mais avais-je au moins prévu quelque chose ? Non. Définitevement, non. Je revis ma mère, il y avait de cela plus de trois cent ans, lever les yeux aux ciel en secouant la tête d'un air consterné, lorsque je revenais d'une de mes escapades : « Kayla, ma fille, réfléchis avant d'agir ! » Et je lui répondais oui, mère, bien, mère, mais je ne l'écoutait pas vraiment. J'aurais dû, visiblement.

- Jaelyn, attend ! m'écriai-je.

Elle ne m'entendit pas, ou ne voulut pas m'entendre, et sortit du Grill sans se retourner. * Kayla, ma fille*, me dis-je intérieurement, *tu as provoqué une fichue pagaille.* A moi de la réparer maintenant. Magnifique. Benjamin me tuerais sûrement une nouvelle fois s'il apprenait ce que je venais de faire... Je me levai vivement et m'élançai à la suite de la jeune femme. Je poussai la porte, et craignis un instant qu'elle se soit volatilisée mais non, elle était encore sur la place, s'éloignant à grands pas. Je me précipitai vers elle, la rejoignis sans efforts et la retins par le bras. Je feins d'être essoufflée, pour faire bonne mesure.

- Ecoute, je crois qu'il y a un malentendu. C'est de ma faute, je me suis mal exprimée. En fait, je suis une amie de Benjamin.

Pour bien clarifier les choses, je précisai d'une vois ferme :

- Juste une amie, d'accord ? Mais il m'a... pas mal parlé de toi, à vrai dire. Et je passais dans le coin, j'ai entendu ce type t'appeler alors je me suis dit... (Je haussai les épaules, comme si mon acte n'était que celui d'une fille impulsive et sans cervelle trop possessive. Je détestais ça, mais pas question d'éveiller sa méfiance... Je la voyais bien - trop bien même - brandir un pieu ou manier le lance flamme.) Je n'ai rien contre le fait que tu le voies, mais si tu veux, la gifle est toujours de mise...

Je pris alors le sourire de la parfaite ancienne pom pom girl nostalgique des bancs du lycée croyant avoir à faire avec une de ses semblables. Je n'avais que peu d'espoir dans le fait que Jaelyn tombe dans le panneau, mais pourquoi pas ? Si elle se focalisait sur Benjamin, ça pourrait fonctionner. Et je réussirais peut être à la mettre suffisemment en confiance pour la faire parler d'elle même. Mais pour l'instant, rien n'était joué, et j'aurais encore à faire un long travail...

Spoiler:

Jaelyn & Kayla ♥



Jaelyn resta bouche bée un momnet devant mes affirmations - ou peut être devant mon numéro abherrant de gentille petite sotte inoffensive. Un instant, je crains d'en avoir fait un peu trop, mais apparemment elle ne se doutait de rien. La petite chanceuse... Si elle m'avait percée à jour, j'aurais sans doute été obligée de la tuer. Hum. A la réflexion, et malgré toute l'amitié qu'il y avait entre nous, je ne croyais pas que Benjamin m'aurais pardonné un tel geste. Quoique s'il s'agissait d'une chasseuse, vouloir l'éliminer de préférence avant qu'elle m'élimine moi-même était légitime. Mais l'amour rend aveugle, dit-on. Aussi, je fis taire ma petite voix intérieure et offris à Jaelyn mon sourire le plus éclatant lorsqu'elle s'excusait de s'être emportée. Pour avoir "sauté aux conclusions", pour reprendre ses termes, ça on pouvait dire qu'elle avait sauté aux conclusions... Si rapidement d'ailleurs, que cela ressemblait à une réaction de petite amie jalouse. Je n'étais pas très bien placée pour le lui reprocher, certes, mais cela ne changeait rien au fait qu'elle tenait apparemment déjà à Benjamin... Un bon point pour la petite Jea. Si elle l'aimait bien, elle ne le tuerait pas tout de suite. Ce qui me laisserais amplement le temps de prévoir une attaque de sa part... J'en étais à ce point de mes pensées lorsque je réalisais que je n'avais aucune preuve de ce que j'avançai, à savoir que Jaelyn et chasseuse impitoyable ne faisaient qu'un. D'où me venait cette certitude d'ailleurs ?

Cette question m'accapara tellement que je faillis ne pas remarquer la façon dont son poul s'emballa subitement. Je lui tenais encore le bras, si bien que je pus sentir le sang pulser dans ses veines, tantôt saccadé, tantôt lent. Sur la fin de sa phrase, ce qui aurait pu passer pour une hésitation me fis comprendre que son souffle était aussi erratique que les battements de son coeur. Je la fixai d'un air perplexe en fronçant les sourcil. Que lui arrivait-il ? Je ne sentais ni alcool ni drogue dans son haleine, pourtant. Et sentir le sang chaud couler sous sa peau suffisait à me donner soif. Heureusement que je m'étais nourrie récemment... J'arrivai à garder une expression que j'espérais neutre et à relâcher la pression sur son bras. Elle se dégagea d'un geste brusque et le vague sourire incertain qu'elle s'était forcée à m'adresser disparut. Sa voix était encore un peu faible et elle semblait vouloir parler le plus vite possible comme pour économiser son souffle lorsqu'elle m'assura d'un ton sec, presque agressif, qu'elle allait très bien, qu'elle n'avait pas besoin que je lui permette de revoir Benjamin (ça, je pouvais la comprendre) et qu'elle n'allait de toute manière pas s'y risquer.

Je me mordillai la lèvre, ne sachant trop comment réagir à cette nouvelle. Elle n'allait pas le revoir ? Tant mieux, si c'était une chasseuse. Mais d'un côté, Benjy avait l'air vraiment de s'intéresser à elle. Et vu son expression, elle n'était pas spécialement ravie de devoir s'éloigner. En vérité, elle était presque amère. Et si... Je voulus repousser cette pensée, mais elle s'insinua dans mon esprit à la manière d'une plante grimpante. Et si Jaelyn lui faisait du bien, au contraire ? Après tout, il avait eu l'air d'être... Comment dire ? Plus épanoui, peut être, quand il m'en avait parlé. Je lâchai un soupir imperceptible devant l'énormité de ce que j'allai faire, puis décidai d'y aller progressivement. Je pris une expression à la fois inquiète et surprise (je n'eus pas trop à me forcer) pour lui demander :

- Comment ça, tu ne vas plus le revoir ? Pourquoi ? Franchement, quand il m'a parlé de toi, j'ai presque cru que vous étiez déjà ensemble. Tu serais bien son genre, d'ailleurs.

Je dus malgré moi reconnaître que pour le coup, j'avais été sincère. Et je croisai les doigts pour que Jaelyn me permette de réparer ma gaffe... Si elle ne s'écroulait pas avant, car elle n'avait vraiment pas l'air dans son assiette.

Spoiler:

Jaelyn & Kayla



Décidemment, cette fille... m'intriguait. Je n'avais jusqu'à présent compris que la moitité de ce qu'elle avait insinué, mais peu importait. Je me surpris à penser que si elle n'avait pas été humaine (et sans doute chasseuse de surcroit), nous nous serions sans doute bien entendu, elle et moi... J'eus bien l'impression qu'elle était touchée par le fait que Benjamin m'ait parlé d'elle ; j'en fus inexpliquablement presque émue moi-même. Peut être parce qu'au fond, je savais que Benjy avait besoin d'expérimenter un peu ce qu'était l'amour. Mais le savais-je moi-même ? Cette pensée me troubla un instant. Jeremiah m'avait abandonnée - et comme s'était difficile pour moi de prononcer son nom, même dans mon esprit ! Je ne savais pas. Je ne voulais d'ailleurs pas le savoir. Je fis donc taire mes incertitudes inutiles et reportai mon attention sur Jaelyn.

Sa réplique me dérouta totalement. Je ne m'étais aucunement préparée à ça. Que me racontait-elle ? Comment ça quelqu'un qui allait mourir bientôt ? J'étais totalement larguée. Bizarrement, je me sentis alors un peu paniquée, jusqu'à ce que je me reprenne fermement en me disant que je la connaissais depuis à peine quelques minutes. Mais la source de mes inquiétudes n'était pas directement la jeune femme qui me faisait face... Comment Benjamin pourrait-il l'accepter ? Qu'en plus de ne plus vouloir le fréquenter, elle meure brusquement ? Il se donnait de grands airs, mais je le connaissais mieux que quiconque et je pouvais affirmer qu'il ne s'en remettrait que difficilement. Voire pas du tout. Et ça, je ne pouvais tout simplement pas le concevoir.

- Attends... Ecoute moi, dis-je doucement. Tout n'est peut être pas fini.

Mais elle ne parut pas m'entendre, et en écoutant sa voix presque suppliante, à la fois fière et triste, je me sentis malgré moi gagnée par sa détresse. Oui, je pouvais la comprendre. Mais je n'arrivais toujours pas à admettre qu'elle puisse passer l'arme à gauche prochainement. Elle paraissait si... vivante ! Pourquoi tout gâcher ainsi ? Alors, comme souvent dans ce genre de situation où l'abattement des autres me stimulait mieux que toute autre chose, je refusai ses arguments avec presque de la colère. C'était plus fort que moi.

- Arrête ça. Il y a quelque chose à faire, au contraire. Quelque chose de très important, d'essentiel même. Tu veux tellement te préparer à mourir que tu en oublies de vivre ! Tu n'as pas le droit de baisser les bras comme ça. Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais ! A Benjy, à ta soeur - tu as une soeur n'est-ce pas ? -, à tous ceux qui tiennent à toi. Tu réalises ce que tu es en train de faire ? Autant te coucher dans un cercueil et attendre, pour le peu que ça changerait ! Ecoute moi, s'il te plait. Tu n'as pas l'air de vraiment prendre conscience de ce que tu rates, ou de la façon dont tu les blesses.

Je m'arrêtai dans ma tirade pour inspirer un longue goulée d'air. Je m'emportais sans doute un peu trop mais... Je ne pouvais pas la laisser détruire son avenir. A présent que j'étais relativement calmée, je me demandai comment elle allait réagir à mon petit discours enflammé. Bien ? Mal ? Aucune idée...

Spoiler:

Jaelyn & Kayla



Non, je n'allais pas la prendre par les épaules et la secouer un bon coup. Non, je n'allais pas me mettre à hurler. Pleurer ou la rabaisser ne marcherais pas d'avantage. L'ignorer ? Pour une raison encore un peu confuse dans mon esprit, je ne parvenais pas à m'y résoudre. Je mis rapidement ce fait sur le compte de ma sollicitude envers Benjamin. Mais je crois qu'à cet instant il y avait déjà quelque chose d'autre. Un je-ne-sais-quoi chez elle qui me rendait impossible toute dérobation. Je ne pouvais pas, moralement parlant, la laisser détruire sciemment son existence et saboter conscienceusement son bonheur. Sa propre volonté de vouloir se laisser aller me rendait encore plus furieusement attachée à l'espoir de la voir se battre. Comment pouvait-on abandonner ainsi lorsqu'on était comme elle ? Je ne sais toujours pas ce qui, en elle, m'a immédiatement poussé à vouloir la voir survivre. C'était tellement irrationnel quand on y pense... Mais j'étais incapable de m'en défaire.

Elle me paraissait très fière, au vu de sa réplique. Mais je l'étais aussi, honnêtement... Je la comprenais bien, trop bien même ! J'aurais sans doute agi comme elle à sa place... C'était peut être cela qui me rapprochait inconsciemment d'elle. Parce que j'aurais détesté voir les gens me contempler avec de la pitié au fond des yeux, j'aurais eu en horreur leur compassion... Mais je me serais battue, pour ma soeur autant que pour moi-même. J'étais morte, je savais comment c'était, après tout.

- Non, je ne crois pas que je serais partie, dis-je doucement. Peut être que tu ne t'en rends pas compte mais... tu en vaux la peine, Jaelyn. Et je dis ça sans arrière pensée. Sans vouloir faire de la théologie... Je ne crois plus en Dieu depuis longtemps. Très longtemps ! Mais je crois que si on est sur cette Terre, c'est pour vivre... Pas pour subsister. Quant à ta soeur, ce n'est pas comme si tu la cachais, pas vrai ? Moi aussi, j'ai une soeur cadette. Et je ferais n'importe quoi pour elle. C'est le lot des aînés, selon moi.

Ma petite Bella. Qu'aurais-je été sans elle ? C'était ma moitié, la personne à qui je tenais le plus au monde, ma protégée. Je n'aurais pas supporté sa disparition, comme elle n'aurait sûrement pas supporté la mienne... Je ne comprenais pas Jaelyn sur ce point. Comment pouvait-elle seulement songer à abandonner sa jeune soeur dans un monde tel que celui-ci ? Cet acte aurait pu passer pour égoïste, mais au fond, je ne le pensais pas vraiment. J'étais presque sûre que cela la rendait encore plus malade qu'elle ne l'étais déjà.

- Je vous apercevais souvent, elle et toi, repris-je, constatant avec étonnement que j'étais réellement attristée. Elle a l'air si fragile, Jea... Tu ne crois pas que ta mort la détruirait ? C'est ce que me ferait celle de ma soeur, en tout cas. Et je ne te parle pas de Ben...

Je soupirai. J'étais vraiment inquiète pour lui. Je le connaissais mieux que personne ; assez pour savoir qu'un chagrin pouvais le faire s'effondrer. Et qu'il s'était attaché à cette fille, le plus bizarrement du monde. C'était incongru, mais c'était réel... Est-ce que Jaelyn pourrait le comprendre ? A mon avis, elle ne voulait pas le savoir. Plus, selon moi, elle en avait peur.

- Je le connais, tu sais. Tu ne te débarasseras pas de lui comme ça. Ce n'est pas la méthode à employer avec lui... (J'hésitai un infime instant avant d'ajouter d'un ton ferme : ) Ni avec moi, d'ailleurs.

Je n'aurais pas été étonnée si elle se mettait intérieurement à me détester. Peu importait, après tout. Si je parvenais à la persuader de vivre... Qui sait ? Peut être même pourrait-elle survivre.

Spoiler: